L’aube allait bientôt arriver…
Encore une nuit blanche, une nuit au sommeil remplie de vieux cauchemars qui ne le quittaient plus,
La chaleur était étouffante, son corps baignait dans la transpiration… dehors les roues d'une calèche grinçaient sur les pavés
Il se leva, ouvrit la porte de sa fenêtre et se laissa envahir par une petite brise chaude qui planait sur la ville.
Son regard portait au loin sans rien voir … les seules images qu’il voyait étaient celles de son passé. Il se souvenait des ces longs voyages … de tous ces êtres aimés qui depuis, à force d’années et souffrances l’avaient quitté… et l’attendaient.
Il sentait que bientôt son heure allait venir. Il savait … cette pointe de douleur qui l’assaillait parfois à la poitrine… il savait comment cela se passerait.
Il soupira ; peu lui importait quand, tout ce qu’il priait c’est que ce soit rapide et sans douleur … il ne voulait pas souffrir, que cela se fasse … mais vite …
La lune était brillante mais cachée par des nuages … toute sa vie avait été comme ça… une lune cachée… il aspirait à la lumière … il l’avait vue parfois mais toujours un nuage était venu lui porter ombre … comme ses amours … toujours une ombre… toujours quelque chose qui avaient détourné le visage des femmes qu’il avait aimé. Leurs noms … il ne s'en souvient plus … mais leur premier regard, oh oui, il se souvenait de leur premier regard ! A chacune, il savait encore par cœur le grain de la peau, la douceur des lèvres … et puis … plus rien, tous ces amours s’étaient envolés, et ce soir, il souffrait de la chaleur seul.
Il avait oublié de refermer son piano hier … las, et fatigué il s’assit devant son instrument et laissa ses mains parcourir l’ivoire du clavier … quelques notes …
Il se souvenait désormais … il était au service du Comte Keyserling son maître d’alors qui souffrait lui aussi d’insomnies… il se souvenait aussi de ce compositeur qui avaient offert à son maître un médicament musical pour lutter contre les nuits blanches…. Un morceau bien trop difficile pour son maître qui l’appelait pour qu’il les joue inlassablement … il s’appelait comment déjà ? Beck ? non .. Bahr … sa mémoire défaillait … la vieillesse certainement, lui qui pouvait jouer tout son répertoire par cœur était incapable de se souvenir du nom de l’un de ses professeurs …. Barth … non BACH oui …. Bach …
Elles étaient longues ces nuits là … elles aussi … mais ces variations aidaient le repos à s'installer.
Trop vite …. Il les jouait trop vite ces variations … toute sa vie était passée trop vite … comme les notes …. Le maître avait bien raison ! Il fallait retenir les doigts, ne les lâcher que quand on sentait que la note allait tomber toute seule … sa vie elle aussi avait passé trop vite … il avait joué sa partition personnelle trop vite …. S’il pouvait reprendre sa vie … et la jouer plus lentement… ….
PS : Avant que les puristes me le soulignent, je sais que cette histoire est purement imaginaire et n’aurait jamais pu avoir lieu, pour la simple raison que son héros, Johann Gottlieb Goldberg, qui donna son nom à cette merveilleuse partition que Bach a composé vers 1741 pour combler les insomnies du Comte Keyserling est mort à l’âge de 29 ans …
Les deux versions de ce premier aria des Variations Goldberg de Bach que vous venez d’entendre sont joués par le même artiste : Glen Gould.
La première version date de 1955 et ce fut avec cet enregistrement que ce artiste génial et complètement fou c’est fait connaître.
La deuxième, date 1981 et a été enregistrée peu de temps avant sa mort … entre les deux, il s’est passé près de 30 ans, toute une vie…
Ne manquez pas de lire le poème du jour dans les Carnets de Poésie
PS : Vous pouvez écouter et voir Glen Gould jouer la totalité des Variations Goldberg (version 1981) ICI
Un enregistrement qui me fait frissonner de plaisir à chaque fois que je l'écoute!
C'est Bach sur la statue?
Rédigé par : laTartine | 11 novembre 2007 à 22:54
J'ai commencé à lire avec les yeux, puis à voix basse,
comme un conte qu'on lit le soir aux enfants quand ils sont sages ;
puis j'ai fermé les yeux, pour écouter.
Merci.
Rédigé par : Monique | 11 novembre 2007 à 23:38
Latartine : la sculpture s'appelle "L'Hiver" et se trouve dans le parc de Versailles
MOnique : Merci ... c'est une joli compliment qui me fait bien plaisir, surtout pour son "lecture à voix basse" !
Rédigé par : Guess Who | 12 novembre 2007 à 06:52
"Bach" te va vraiment très bien, merci pour ce moment de poésie...
je viens de mettre les préludes et fugues de 1 à 8 interprétés par le magistral Glenn Gould en 1963.
Bonne journée
Rédigé par : double je | 12 novembre 2007 à 12:08
plaisir de cet instant à écouter, à te lire, à écouter encore et à glenngoulder dans ma tête, toute ma jeunesse en ce lundi soir quelque peu morne et surtout froid !et ce n'est pas que la couette que je vais rejoindre vite qui sera la seule à me réchauffer !
Rédigé par : marie.l | 12 novembre 2007 à 22:06
quel plaisir !!! et la photo de la lune Tiago est magnifique.
Rédigé par : nina | 13 novembre 2007 à 20:24
au début plaisir des notes, de tes toujours époustouflantes photos (comment fais-tu pour rencontrer leurs sujets, pour être là) et des mots, mais je trouvais que ces derniers allaient mal à la musique - un peu trop pathos pour elle - et puis en fait c'est en situation et on se moque bien du vrai Goldberg
Rédigé par : brigetoun | 13 novembre 2007 à 20:58
et vais je perdre toute considération si je dis que je préfère la première version parce que le son est plus rond et que les notes justement pour moi tombent mieux, pour elles même ?
Rédigé par : brigetoun | 13 novembre 2007 à 21:02
Quelle lune splendide!
Le ciel ondoyant
sur les vagues satinées
la lune fait sa belle
Rédigé par : Ossiane | 13 novembre 2007 à 22:36
Merci ....
Ossiane : il est magnifique ton haïku. Merci pour le cadeau ...
Brigtoun : Euhhhh ... nous serons deux alors. Moi aussi je prefère musicalement la version 1955
A tous : j'ai mis un lien en fin de note qui vous permettra d'écouter sur Dailymotion la totalité de la version 1981
Rédigé par : Guess Who | 13 novembre 2007 à 22:49
Merci tiago pour cette évocation de Bach Goldberg et Gould
Sur l’aria
Version 1
Sur le toit
Les doigts de la pluie
Jouent
Doucement
L’aria du temps passé
Les regrets
Gouttes à gouttes
L’eau
Des souvenirs lointains
Coulent
Doucement
Sur les vitres de la mémoire
Amours perdus
Oubliés
Visages effacés
Battements
D’un cœur nostalgique
Les doigts de la pluie
Jouent
Doucement
L’aria du temps passé
Version 2
Dans le silence blanc
L’aria du temps de neige
Où lentement
Tout s’efface
Dans l’extase du givre
Tintent des clochettes de glace
La lumière
Prend son envol
Les papillons d’hiver
Volètent
Au jardin nu
Les rêves apaisés
Lentement
En flocons
Sur le cœur éploré
Se posent
Nul regret
Nul désespoir
L’âme seule
Sereine
Dans le silence blanc
L’aria du temps de neige
Où lentement
Tout s’efface
Dans l’extase du givre
Rédigé par : amichel | 14 novembre 2007 à 02:50
Oui, c'est toute une vie entre les deux enregistrements de Gould.
Mais, en 1981, il semble avoir tout le temps du monde pour jouer l'Aria I des Variations Goldberg.
Ta nuit avec la lune est magnifique et c'est l'instant d'écouter Bach par Glen Gould.
Beijos
Mariana
Rédigé par : Mariana Pimentel | 15 novembre 2007 à 16:40
Chaque fois que j'écoute ces variations,
Je suis comme transportée
À cette journée
Près de cette mer
Que j'aime tant
Avec les amis de toujours.
De temps en temps
La conversation s'arretait
La chanson de la mer,
Se faisit entendre plus forte,
En fermant les yeux
C'est cette image que j'ai!
Um abraço Mariana
Rédigé par : Cristina M | 16 novembre 2007 à 09:09
extraordinaire cette dernière version de l'aria. je ne la connaissais pas mais là... je suis sous le charme.
Rédigé par : Leila Zhour | 06 décembre 2007 à 21:27