Décembre 1970, il y a bien longtemps, j’avais le même âge de mon fils aujoud'hui...
Mon grand-père avait organisé une petite balade dominicale dans la région de Colares et lorsqu’il nous reconduisait à la maison, j’ai tout fait pour qu’il fasse un détour par Cabo da Roca.
C’est ici au « Promotorium Magno » déjà décrit par Pline l’Ancien que je voulais une dernière fois jeter un coup d’œil à l’Océan...
Un temps d’hiver, un vent comme il ne peut souffler que sur une falaise au bord de l’Atlantique.
Je regardais l’immensité de l’Océan qui se trouvait à mes pieds.
Cette sensation douloureuse de savoir que cet endroit, bientôt, pour moi ne serait plus qu’un souvenir, que peut être je ne le reverrai jamais.
Notre départ définitif du Portugal était prévu pour dans une dizaine de jours plus tard. Moi aussi je devais faire partie du voyage malgré tout ce que cela impliquait pour moi. Un départ sans retour possible… il ne restait plus que quelques semaines avant que l’Armée puisse mettre la main sur moi et que mon passeport ne me soit retiré… l’incorporation obligatoire dans l’armée avant départ pour l’Afrique devait avoir lieu dans peu de temps … un an, 18 mois selon les besoins de l’armée en sang neuf …
Je savais que ces paysages désormais ne seraient plus que mon passé… j’avais un nœud à la gorge, une immense angoisse devant l’avenir.
- Tu pleures ?
- Non Avô, c’est le vent…
Mon grand-père ne dit rien. Je l’entendais derrière moi qui tirait sur sa pipe, la senteur de son tabac se battait contre les odeurs iodées de l’océan…
- Tu sais ce qu’il y a devant nous ?
Je souris à la vieille question qu’il me posait depuis tout petit..
- Oui Avô, New York est de l’autre côté de l’Océan…
- Et qu’a dit Camões de cet endroit ? Tu te souviens des vers ?
- Là où la Terre finit et la Mer commence…
Oui, l’aventure pour moi commençait
J’allais quitter ce pays tant aimé mais où la chape de plomb de la dictature tuait toute idée, toute liberté.
J’allais laisser enfance, famille, amis, racines, pour me frotter au Monde que je savais plus grand, plus libre ailleurs… que j’allais pouvoir parler librement, penser librement, voyager librement …
J’allais enfin découvrir d’autres horizons que ceux que me pouvait offrir une dictature moribonde, voir le monde lointain et si souvent rêvé !
Aujourd'hui, je suis là avec les miens, qui ignorent tout de ces souvenirs, de cette odeur iodée, cadeau des vagues de l'Océan et qui m'est indispensable, sensation qu’ils ne peuvent pas comprendre; je les vois marchant allègrement entre les fleurs, se prennant mutuellement en photo, regardant gaiement la mer du haut des falaises, m’interpellant au passage des goélands qu’ils savent être l’une de mes passions… mon symbole de la liberté d’Être, d’aller où le vent et l’envie vous veulent bien porter…
Oui, les aventures partent toujours du haut d’une falaise face à l’Océan …
Je me revois adolescent face à ces mêmes falaises... Il faudra neuf ans pour que je puisse revoir Cabo da Roca. Entre-temps, l’odeur de tabac était partie pour toujours, et moi, moi j’étais devenu un homme; un homme dont le voyage était devenu le quotidien, la raison d’être...
Parfois je me demande encore derrière quoi je cours ?
Que peut m’amener la connaissance d’un nouveau pays, d’une nouvelle culture … peut être rien… peut être un souvenir du passé… peut être une image de moi-même… aussi fugace que la fumée d'une pipe...
Guess Who and Where… Devinez Qui et Où...
Tiago, vous m'avez mouillé les yeux.
Il faut dire que le Portugal est si attachant, même pour un étranger...
Rédigé par : Réac de Gauche | 08 mai 2006 à 15:57
Superbement nostalgique...
Rédigé par : double je | 08 mai 2006 à 16:49
Le jour où on lace ses chaussures et on part, on devient soi-même... et on part à sa propre recherche. Je l'ai fait aussi, il y a longtemps, en quittant des sommets et des vallées plutôt que des falaises...
Rédigé par : JC-Milan | 08 mai 2006 à 16:57
Superbe, poignant, émouvant,… Nous effleurons du bout des doigts le vrai Guess derrière ce post … merci.
Rédigé par : Stéphanie | 08 mai 2006 à 17:28
ça ressemble au Finistère. Touchée de toute façon par votre histoire, et quelle que soit la réponse à ma petite question : ce départ c'était pour l'Afrique ou pour éviter l'Afrique ? J'ai toujours eu le plus grand respect pour les portugais (dans la mesure où l'on peut juger un peuple en bloc)
Rédigé par : brigetoun | 08 mai 2006 à 17:36
Emotion++++
Moi, j'avais 2 ans et aucun souvenir. J'imagine le déchirement de mes parents, je suis d'ici et d'ailleurs...Oh oui. Guess who and where.
Saudades.
Rédigé par : Nanoue | 08 mai 2006 à 20:41
Grande émotion en regardant ce reportage!Vivement le mois de juillet, et merci!
Rédigé par : cristina | 08 mai 2006 à 21:11
très beau Tiago. Ecrit avec justesse, pudeur, et émotion. Un homme et sa terre, pour toi un homme et la mer. Baudelairien avant d'avoir lu Baudelaire.
Envie de te relire, de regarder tes images un peu sauvages, et l'envol d'un oiseau libre sur l'océan.
Poéte, voyageur, penseur, tu vogues de blog en blog, ta plume vagabonde.
Rédigé par : elisabetha | 08 mai 2006 à 22:16
les larmes aux yeux que en lisant ton texte...
Rédigé par : nina | 08 mai 2006 à 23:09
Quand vous parlez du départ pour l'Afrique, faites vous allusion à l'Angola et à la guerre de décolonisation, puisque si j'ai bien compris c'était sous Salazar?
A propos de cette guerre je suis très touchée par les romans de Lobo Antunes qui a vécu cette guerre et en est revenu complètement meurtri, mais qui à mon avis est un des plus grands écrivains contemporains
Rédigé par : cyberannie | 08 mai 2006 à 23:48
j'ai le coeur serré, quel déchirement que de quitter sa patrie, et que de nostalgie encore dans ce récit... tu es un fameux bonhomme Tiago et je te tire mon chapeau!
Rédigé par : mamiblues | 09 mai 2006 à 00:20
Les larmes aux yeux... parce que ton texte est trés touchant et à cause de celà, la nostalgie...
Quando nous sommes partis, ne savais que juste les quelques mots en français que tu m'as pris.
Mais je n'ai pas eu peur de partir, je sentai qu'un jour j'allais revenir (n'étant pas garçon...) et d'ailleurs je ne regrette pas l'aventure.
Et depuis: j'ai pris le goût d'avoir la "maison sur le dos".
Rédigé par : Cristina M | 09 mai 2006 à 08:57
accessoirement les photos sont très belles
Rédigé par : brigetoun | 09 mai 2006 à 12:42
Très beau texte mon cher Tiago ! Tu vois les falaises et l'océan sont toujours là ! Et la dictature n'est plus! Quel beau pays...que malheureusement je ne connais pas.
Très amicalement
Rédigé par : jlhuss | 09 mai 2006 à 21:39
Bien difficile de transmettre ceci à nous autres qui n'avons pas connu tout ceci: l'exil forcé, la dictature.
Difficile à transmettre, mais je crois que tu y es parvenu. La sincérité, la nostalgie, les sentiments qui émanent de ton texte nous atteignent, au plus profond d'entre nous. C'est fort!
Rédigé par : Miradas | 10 mai 2006 à 16:07
Exilée du pays où je suis née, sans espoir de retour, je comprends très bien les sentiments que vous évoquez , même si les situations sont différentes.C'est très beau, merci.
Rédigé par : Monique | 10 mai 2006 à 17:54
Merci pour ce très beau moment partagé.
"Là où la Terre finit et la Mer commence…
Oui, l’aventure pour moi commençait"
Quitter la falaise et commencer l'aventure de la vie
Impression qui me revient: un moment qui était:
être au bord d'une falaise,
en bas c'est la mer et avoir à plonger pour trouver le mouvement de la vie
comme lâcher les certitudes auxquelles on s'aggrippe, lâcher le connu pour accepter l'inconnu de la vie
Rédigé par : candide | 10 mai 2006 à 18:04
Où l’on comprend la photo du goéland de février.
La liberté était dans ce vol, l’arrachement aussi.
On ne savait pas où, votre beau texte donne la clé.
Pensées, sentiments si personnels, intraduisible “saudade”…
Rédigé par : choses vues | 11 mai 2006 à 16:16
Prendre son envol pour trouver sa liberté,
se découvrir à travers des voyages au long cours,
et revenir enfin près des rivages nourriciers, ...apaisé.
Très beau texte qui nous remplie d'émotions :-)
Rédigé par : Myblogforyou | 12 mai 2006 à 10:06
c'est beau....
Rédigé par : clementpembroke | 13 mai 2006 à 09:31
Beaucoup d'émotion dans tes mots et une petite larme à l'oeil pour moi. Ces départs qu'on pense définitif doivent être de véritables déchirements lorsqu'il s'agit de fuir une dictature. Je suis contente que tu aies pu retourner là-bas. Pensées à Cristina M également.
Rédigé par : Ossiane | 14 mai 2006 à 00:27
je ne connais pas le Portugal, ni les paysages, ni les recettes et lire tes derniers billes m'ont fait découvrir "plus". Un peu de toi dans tes souvenirs raconté avec tant de sincérité. Je me sens du coup un peu comme...
Comment disais-tu déjà... "Une sorte de bonheur intérieur atteint grâce à un état dépressif et une tristesse contagieuse".
Rédigé par : wictoria | 15 mai 2006 à 16:07
Merci, mille merci pour ces mots si personnels et émouvants.
Comme Ossiane, les larmes me viennent.
Chapeau bas, Tiago, pour évoquer si bien ce vécu de déchirement.
Je t'embrasse bien amicalement et solidairement aussi.
Rédigé par : Annie-Claude | 15 mai 2006 à 22:50
Tout va bien, Tiago?
Ton silence inquiète.
Bonne soirée .
Rédigé par : cristina | 16 mai 2006 à 23:00
L'Océan en décembre! Loin des cris des touristes, des radios et des tenues criardes de l'été! Et ce regad noir des falaises, leur visage écorché!
Rédigé par : lobita | 17 mai 2006 à 10:10
Merci pour la mouette, j'avais oublié à quoi ça ressemblait.
You made my day ....
Rédigé par : jacqueline k. | 19 mai 2006 à 13:13
Merci pour la mouette, j'avais oublié à quoi ça ressemblait.
You made my day ....
Rédigé par : jacqueline k. | 19 mai 2006 à 13:15
Et bien dis donc, c'est bien émouvant tout ça...
Je ne croyais pas si bien dire en écrivant ma note sur ton MAC et cet histoire de feu follet qui allait de par le monde...
Merci pour cette si belle note...
[Des mots pour apaiser, pour voyager, pour penser à autre chose, c'est ce que tu vas recevoir de ma part lundi...]
Rédigé par : uu | 20 mai 2006 à 09:48